Avant de créer sa propre structure, Graziella Griso s’est consacrée pendant plusieurs années à l’enseignement du Français Langue Etrangère. Elle a été évaluatrice dans une plateforme d’évaluation et d’orientation. Au sein de son organisme « Méli-Mémo », créé à Agen en 2017, elle reçoit par petits groupes des personnes en situation d’illettrisme ou d’origine étrangère qui veulent perfectionner leur français, ou encore qui souffrent de « troubles DYS ».
Elle applique au quotidien la « méthode Griso », qu’elle a formalisé en mettant à profit les périodes de confinement. Une méthode en dix étapes chronologiques, à utiliser selon le profil de chaque personne, à son rythme. Elle convient à tous les apprenants, même ceux qui ne connaissent pas les lettres de l’alphabet.
« Dans un deuxième temps, lorsque les personnes commencent à bien déchiffrer, je leur propose de travailler avec 5 petits livres sur des thèmes du quotidien. Des thèmes « adultes » et des « besoins d’urgence », comme la carie, le bus, les élections ou le permis. Je les ai écrits parce que, en général, les adultes qui ont besoin de travailler sur les savoirs de base ne disposent que d’outils qui s’adressent au public jeune. C’est peu adapté à leur situation. »
Tous ces livres se présentent sous le même format, dans une logique de progression de par leur longueur, le vocabulaire employé, la répétition des mots déjà lus dans les livres précédents, des termes plus complexes au fur et à mesure des histoires, etc. L’objectif commun à tous les ouvrages est de travailler sur des compétences transversales, le développement personnel, la persévérance et l’autonomie.
« C’est un public fragile. Par exemple, le premier livre de la série, « la carie », s’adresse aux personnes qui ne vont pas se faire soigner. J’en ai fait un sur les élections, parce que le fait d’aller voter présente beaucoup d’obstacles quand on ne sait pas lire. Si les personnes se sentent capables, elles peuvent repartir avec le livre et aller le lire chez elles. »
La publicité comme support d’apprentissage
En plus de ces livres, le cœur de la méthode Griso avec les personnes en situation d’illettrisme, c’est l’utilisation de documents « authentiques », particulièrement des prospectus publicitaires. « C’est très efficace, il y a énormément d’éléments à travailler sur ce genre de supports. Et ça intéresse les gens, tout simplement parce qu’ils font les courses et que c’est quelque chose qui va leur servir. C’est là où on commence à créer une utilité, un besoin. »
Toutes les informations contenues dans ces dépliants se transforment en levier d’apprentissage : les poids et les mesures, les pourcentages, l’origine des produits qui sont un prétexte pour s’intéresser aux pays de provenance. Les dates également, les jours et les mois de l’année étant des concepts difficiles à manier pour les personnes en situation d’illettrisme.
« J’essaie de donner un sens à l’apprentissage, d’aboutir à l’autonomie et la confiance en soi, parce que les gens ne restent pas chez moi éternellement. Même quand ils ne viennent pas en séance, ils peuvent se débrouiller tout seuls, utiliser les supports qu’ils reçoivent dans leur boite aux lettres. Ils le font sans avoir l’impression de faire des « devoirs. » D’ailleurs, j’évite tout ce qui leur rappelle leur passé scolaire, et donc l’échec. Si on perd ces publics à cause d’une méthode qui ne leur plaît pas, on les perd définitivement. »
Les apprenants suivent des parcours de 140 h, en entrées sorties permanentes, selon un rythme assez soutenu, soit 9 heures par semaine en 3 séances. Avec le travail en petit groupe de 4, ils trouvent leur compte et un sens à l’apprentissage. « Ce qui est sûr, c’est qu’il faut un délai d’environ une année. Il faut tenir le rythme et ça ne pose pas de problème à personne. Je crois vraiment que si on leur propose quelque chose qui leur plait et qui leur sert, c’est gagné. Surtout si les progrès sont visibles. »
La méthode est assez souple pour s’adapter à tous les profils, quel que soit l’âge ou le niveau de maîtrise de la langue. Avec 4 personnes, il est plus facile d’installer une dynamique de groupe, ou de faire travailler en binôme des personnes qui ont le même niveau. Au besoin, il est possible d’improviser des séances sans perturber la progression. Graziella Griso n’hésite pas à mélanger les publics, à intégrer des réfugiés. Elle y trouve un intérêt parce que chacun a potentiellement quelque chose à apporter aux autres. Les personnes en situation d’illettrisme connaissent le vocabulaire français et peuvent aider les personnes étrangères. A l’inverse, les « FLE » qui savent lire dans leur langue, même s’ils ne connaissent pas le sens des mots français, peuvent aider ceux qui ont des difficultés de lecture. L’ambiance est bonne et propice à l’apprentissage. Le contexte est important, il n’y a pas que l’oral et l’écrit qui entre en ligne de compte.
Autre but du projet soutenu par la Région dans le cadre de l’appel à projets « Illettrisme et illectronisme », former les bénévoles intervenant au sein d’associations spécialisées dans la lutte contre l’illettrisme, ou celles qui envisagent d’accompagner ces publics.
« Je propose de former les bénévoles à ma méthode afin qu’ils soient mieux outillés. Deux journées de formation, avec théorie et pratique, par groupes de 4 aussi, de manière à leur montrer la dynamique qu’on retrouve avec les apprenants. Ils suivent la même méthode, avec les mêmes supports publicitaires, exploitent les documents pour voir ce qui en ressort. Je propose aussi à des bénévoles de voir ce que je fais en cours lors de modules de suivi. C’est plus concret pour eux, ils visualisent mieux la mise en œuvre. »
Une méthode clés en main
A l’issue de la formation, les bénévoles repartent avec un coffret qui contient les 5 livres, ainsi qu’un document spécifique aux accompagnateurs, un livret didactique à utiliser comme fil conducteur lors de leurs interventions. Pour chacun des livrets, il les aide à mettre en place des activités. Mais les bénévoles peuvent aussi partir de leurs propres idées.
« On peut avoir l’impression que l’illettrisme et les savoirs de base, c’est très compliqué à mettre en route. Je veux désacraliser tout ça. Avec une méthode accessible et un fil conducteur, je crois que n’importe qui est capable de le faire. Une fois que vous avez compris comment monter une séance type, vous pouvez trouver des choses à faire faire aux gens, même de façon improvisée. Je pense que si on manque de bénévoles, c’est justement parce qu’on pense que s’occuper de personnes en situation d’illettrisme est trop complexe. J’ai envie de montrer que si on a une méthode qui fonctionne, ça peut être facile autant pour le formateur que pour l’apprenant. »
Malgré le contexte, la méthode a pu être lancée, formalisée et les livrets édités. Un livret descriptif, sorte de guide du formateur, viendra bientôt s’ajouter à l’ensemble. Pour varier les supports, un travail est en cours sur la création d’un jeu de cartes qui permettrait d’arriver petit à petit vers la conjugaison, à la construction de phrases simples. Reste à faire la promotion de l’outil auprès des bénévoles et, à terme, des professionnels. « J’ai commencé avec les bénévoles, il faut déjà que je légitime tout ça avant d’éventuellement m’adresser à des accompagnateurs professionnels. Et plus globalement à tous les intervenants qui expriment un besoin de se doter d’une méthode facile à prendre en main. »